18 septembre 2018

Mamie



Elle ne vient que si on l’appelle. Dans la brume des eaux des rochers d’ailleurs, à la maison. Les feux feux follet les lucioles des lanternes de plages, grande ouverte porte de champignons. 

Vieille comme les algues, le rocher un visage creusé, debout jamais assise, les mots des histoires tracées dans son visage. Sa vieille peau incrustée d’amour et de pierres précieuses des os d’épaules un long collier de perles blanches noix et racines. Sac de médecine papier parchemin de bouleau, sortilèges d’encre de misère.

Elle a vu, avec ses yeux d’amanite sous les pierres dans le sang du cœur le sang qui coule de ton ventre. Mamie voit avec les yeux des plantes et des limaces ses pupilles blanches qui s’égouttent qui glissent sur la mousse, des yeux racines qui s’enracinent dans la terre.

Son vieux dos courbé couvert de pierres. Elle avance comme une mère, elle reconnait chaque visage tous enfants d’elle, de ses vieux os qui craquent sous les montagnes nous mangeons la même viande, le même lait. Les blessures pleurées dans la pierre, durcit comme du plastique entre les dents, le long bras de mamie comme une vieille branche dans les viscères elle arrache délicatement la pierre.

Elle cueille la blessure comme une perle fragile de rosée, du bout de longs ongles noircis de cercles tracés dans la terre, de dents perdues dans la chair. Dans le creux de ses vieilles mains, sous les yeux blancs, les lignes du destin elle voit l’avenir comme un rêve celui des plantes déracinées du savoir des anciens.

Larmes joie peur la beauté qui fond comme une chandelle, un corps de cire qui brûle de vivre mourir dans les pierres sont glissées les mots qui font pleurer. Donner à Mamie les pierres elle les chérit comme des enfants en diamants incrustés dans son panier de branches tressées.

Mamie pleure c’est la beauté qui rend aveugle ses vieux yeux blancs à force d’aimer du regard. Bénir bénédictions jusqu’aux os au lait brumeux. Elle dépose la pierre sur son dos parmi sa pile de triste de colère un fardeau de reine de sorcière au squelette cimetière.

Elle retourne dans la mer, l’eau salée comme des draps algues tambours des anciennes roches d’étoiles du temps d’avant lentement elle se glisse sous les vagues avec nos fardeaux, ses cadeaux.




Avec ses griffes de poule elle gratte la terre lacère la chair, des yeux de chèvre qui te regarde perdu dans le lichen, tu l’appelle sans la connaitre, elle flotte sur les fougères elle veut aider, maman elle veut manger dans son ventre vide les enfants.

Une vieille souris aveugle à la queue tordue, toute petite dans son lit d’emballages vides de cartes postales d’allumettes brulées. Venez avec vos souliers danser dans le cercle des amanites, sur sa peau ridée des bisous de parfum d’achillée, elle s’enracine dans les vaisseaux sanguins, elle collectionne les yeux dans le creux de ses mains. 


D’amour on trie les longs fils plumes de son dos courbé, une soupe aux pierres du jus d’amulettes.
Ouvrir ta peau du bout des ongles comme une enveloppe un cadeau un gâteau entre les reins, d’amour enveloppée de bonbons multicolores incrustées dans la chair malade, moisissures qui poussent sur la grande maison de pierre nous sommes sauvés.

L’instinct qui vacille entre les réalités qui dit sauves toi mon p’tit cœur, mais quelque chose de fort qui cri dedans où ça brûle de bouger de mouvements entre les racines, les artères, le savoir des livres sur la langue de serpent entre ses vieilles dents grises de glaise, crache des mots de sang noir dans la marmite.

Manger de la boue trier la poussière se coudre les joues, Mamie même si tu me découpe en morceaux tout petits, je dirai merci. Garde-moi dans tes grands bocaux comme l’on garde les beaux papillons percés d’aiguilles sur le mur des grands musées.

Dans la forêt, viens avec moi mon p’tit cœur ma friandise, je t’apprendrai à marcher sans soulier la langue coupée. Des pansements sur tes bisous, ton grimoire et ton couteau pour trancher la nuit les ombres et les fruits que te donnerons les esprits.

Dans la forêt, viens avec moi mon p’tit cœur ma friandise, nous gratterons la terre pour y trouver les vœux des anciens, nous mangerons les racines qui oublie dans les couleurs les mots les chemins, perdus nous sommes enfin nous-même meurt mais ne meurt pas entre mes lamelles ton cœur qui se débat, ma friandise n’est pas peur sous mes grandes dents sont les berceuses dans mon ventre un lit de plume meurt dedans et je te donnerai un nouvel œil, celui qui voit derrière les pierres les parcelles d’arc-en-ciel.




Je suis la mouche dans ta soupe les poils sur tes lèvres les cicatrises sur ta peau
ta peau qui vieillit comme les fleurs du jardin de Mamie
Je suis les yeux sombres et les caries,
Laisse-moi entrer dans ta maison de livres et de sel
la misère ce n’est pas ce que tu crois ce que tu écris

Fais-moi confiance le lait de tes céréales sous mon vieux regard tu t’élèves
Les trous dans ta peau comme un vieux papier journal les plumes tombées d’une harpie
Égouttes-toi avec moi avec les filles les lunes les bêtes sauvages des marécages

Tu es née de la boue ta chair d’amanite de feuilles mortes d’os de glaises
La lune luminescente éclaire ta peau endurcit tes côtes et fait pousser tes ongles

Enfant de lune, de crapauds et de miel
Tu es mes yeux blancs, tisseuse du grand fil 
Tu es créature tu es ma fille


7 juillet 2017

Sous la terre


Je voulais manger la terre et les feuilles mortes. Je voulais sentir mes dents se briser sous la pression des pierres, mon crâne s’ouvrir contre les racines des arbres. Enfin la lumière. Je me réveillais comme d’un loin voyage au cœur des fractales. Mamie filtrait toujours son thé, elle disait avoir peur d’avaler une aiguille. Elle disait aussi qu’il n’y avait rien de tel dans la forêt, à part la peur d’être brûlé vivant. Mamie avait des longs ongles avec lesquels elle brassait sa soupe. Je m’endormais souvent sur ses genoux, en écoutant les bêtes du grenier chanter.

Lorsque nous avions faim, elle m’apportait dans la dense forêt derrière sa vieille maison de pierre. Chaque fois, elle me disait qu’elle me découperait en si petits morceaux que je m’envolerais. Elle disait que mon sang était celui des fleurs et je lui répondais que j’avais peur d'oublier. Mamie comprenait, elle aussi se réveillait quand le silence envahissait la nuit. À travers les branches et le lichen, elle me mena à un arbre immense auquel pendait des fruits inconnus. Elle en cueillit et me tendit les baies, celles qui ouvrirent le trou noir sous mes pieds et en mon esprit. « Mamie ! Mamie ! Prend ma main, le sol m’avale !». Elle me tendit une cuillère de bois et me dit que rien n’est la fin. Je fus englouti. 

Les mouvements de mon corps avaient formé un petit nid circulaire sous la terre. Je passai les premiers jours dans une obscurité absolue, à ne pleurer que de la boue. J’étais si petite que je pouvais sentir le mouvement des viscères de la Grande Mère. Un rayon de lumière me parvint et dans sa poussière arc-en-ciel je vis les couches de l’existence, je vis les anciens et la matière. J'étais liquide comme le monde, parcelles de lumière. J'étais la sève des pins et le sang des oiseaux. Mon corps malade vomissait ses peurs, bercé par le chaos du monde des anciens. Je fus les araignées, la mort et le miel. Je n'avais plus de nom sinon celui de l'abîme des esprits. Affamée, j’avalais mes dents, ma peau putréfiée s’écoulait de mes os. Alors que la souffrance coulait avec ma chair, se présenta à moi ; le Vide. Il y avait dans cette noirceur une connaissance ancienne, une litanie maternelle. Mes cris étaient d’épais liquides foncés qui goûtaient le sang et la mer, brûlant ma peau en se déversant. Plus je cherchais à sortir de la terre, plus je m’y enfonçais. J’étais les vers, l’eau et l’air, microscopique comme un univers. 

Je me réveillai au seuil de la forêt, grattant doucement la terre qui soignerait mes plaies. J’étais revenu d’une odyssée de boue et de plasma, mes os craquant sous les montagnes. Je fus le Wendingo qui dévorait les tribus et l’enfant naissant dans un ruisseau. J'entendis le bruissement des feuilles qui accompagnait les pas de Mamie. Elle me montra le chemin jusqu’à notre maison où nous bûmes un thé sans le filtrer.

3 janvier 2017

Potions


La pièce poussiéreuse, saturée d'odeurs boisés et salées, me laissa deviné trois larges silhouettes assises autour d'un énorme chaudron noir bouillonnant. Les trois femmes aux visages difformes tant les traies étaient exagérés, portaient sur leurs courbes proéminentes de vieilles robes victoriennes de paysannes jaunis par le temps et la terre. Malgré mon hésitation, ma présence n'interrompit en rien leurs rires stridents. Leurs affreux visages portèrent sur moi un puissant regard de compassion, leurs traits creusés par la connaissance se remodelaient selon mes émotions. Plus je m'avançais, plus ils devinrent tendres et maternels comme le premier souvenir de ma mère. Une certaine tristesse traversa le flot de mes pensées. Saisissant l'émotion qui assombrissait ma vue, l'une des femmes me pointa d'un geste délicat la quatrième chaise. Ses longs ongles étaient trempés du même liquide noir qui mijotait dans le chaudron.

Elles m'accueillirent dans leur cercle sans l'ombre d'une hésitation, sans la nécessité des mots. Du bout des doigts, elles déversèrent dans l'épais liquide ; champignons, os et écorces. Les femmes entonnèrent un chant des anciens. Devant mes yeux hypnotisés, s'éleva dans la fumée ; des arbres luminescents. Le chaudron s'écoula à nos pieds, engloutissant le feu et le chant des mères. Les murmures des racines des arbres m'enseignèrent le secret des mots. Mon corps s'ouvrit en deux, se connectant aux nerfs fongiques de la terre. Des millions d'années s'écoulèrent, ma tête devint chair liquéfiée recouverte de champignons. Je goûtais la mort des insectes, vécue dans des trous sous la terre et dans la moisissure des arbres. L'éternel présent coulait dans mes veines, l'évidence que je ne pourrais jamais plus être ailleurs qu'ici. Vint alors l'eau des rivières avec l'évolution et la maladie. Je naquis sous une rare forme de bactérie, aux creux des océans où nous partagions notre abri avec les monstres d'ailleurs. Alors que mon corps se refermait, cicatrisant sous la médecine des plantes, j'arrêta de penser. Chaque choix est une possibilité, un arbre sans fin qui se crée au fil des croyances. Diverses dimensions pour diverses certitudes. Ce fut la clé d'une connaissance ancienne, porte des possibilités.

Les femmes réapparurent sous la fumée qui s'estompait. Les premières paroles vinrent de la femme à ma gauche ; «Il n'y a pas de dieu ici, mais il y a quand même la superstition », la deuxième femme prit alors parole à son tour ; «Le premier chemin mènera à la souffrance, alors que le second est la clé », la troisième femme posa sur moi un regard sincère ; «Suit la connaissance jusqu'au seuil des forêts, elle est la porte des possibilités ». Enveloppée d'écorces et de toiles d'araignées, elles m'offrirent une vieille robe pareille aux siennes. Au sein du cercle, je mourus. Une partie de mon être étaient maintenant de celles que l'on ne parle pas, de la laideur des corps et de la solitude. Aucune flamme ne brûlera mes os, tant que cette robe ornera ma chair.

12 septembre 2016

Médecine Sacrée


J'avais survécu à la nuit. Ma protection entre des murs de poussière, ma maison de plantes mortes, de briques anciennes qui nous soutiennent. Mamie avait dit qu'il ne fallait jamais sortir d'ici. Que les créatures de la forêt me découperaient comme l'on mange les animaux dans les villes. Sous les images mentales de mon corps lacéré, j'avais lancé la clé de la porte derrière mes piles des livres sur le plancher. Ce matin, mes yeux ne voulaient pas s'ouvrir pour voir si la poussière dansait dans les rayons de soleil qui traversaient la fenêtre encrassée. Je dessinais avec la saleté, mes rêves de ruines, de ruisseaux et de fruits. Quand la lune était noire, je traçais avec du sel le bas de la porte d'entrée et sur le plancher, un grand cercle dans lequel je dormais protégée. Souvent la nuit je pleurais, mais sans les mots qui expliquent. Mon cœur n'était que des larmes, comme si j'étais née avec une tristesse ancienne. J'étais libre dans ma maison de vieux bois, j'étais libre de ne jamais mourir. Je faisais du feu avec les os de mes vieux amis animaux. Comme un calendrier, je regardais le temps se dessiner dans les traits de leurs visages et leur fourrure s'amincirent avec les cycles de la lune. J'aurais voulu les enterrer dans le jardin comme nous l'avions fait quand mamie est partie. Leurs os auraient pu devenir de grand arbres sans noms où la vie se serait abritée. Les flammes multicolores brillaient dans le noir, elles étaient comme des écritures dorées qui flottaient dans l'air, comme des chuchotements de peur lorsqu'on ne sait plus ce qu'il faut faire. Je chantais doucement les chants des anciens, lentement le bruit de leurs tambours se joignit à moi. Et je descendais en spiral vers la noirceur du monde. Les racines se transformaient en mains, la terre en cristal. Mamie m'attendait toujours assise au milieu des lilas. Elle savait que je commençais à comprendre les choses qui n'existent que de l'autre côté, c'est pourquoi elle m'avait appelé. "Mamie, je crois que la maison m’asphyxie, je crois que les murs se couvrent de champignons". Ses mains de sorcière prirent les miennes, ses yeux étaient comme les vieilles étoiles des mondes disparus. Elle me montra en rêve, les racines et les feuilles nécessaires à la naissance de mon esprit. Je les vis à l'intérieur, où il n'y a pas de yeux pour regarder, derrière les pensées. Tous les ingrédients poussaient dans la forêt de l'autre côté de la porte fermée à clé.  Un coup strident contre la fenêtre brisa ma transe, je n'avais pas pu remercier Mamie. Une main sur mon cœur triste, je lui répétais que je l'aimais. Lentement je me levai, tentant d'équilibrer mon corps fragile, qui ne mangeait que des pierres et des amulettes. Je me rendis où le bruit s'était produit. Un trait rouge traversait un carreau de la fenêtre. Si coloré, si vivant, je réalisai qu'il y avait déjà des années que je n'avais plus saigné. Du côté de la main, j'enlevai la poussière du carreau, au milieu de l'herbe, je vis l'oiseau qui s'était blessé. Il respirait lentement, si vulnérable au monde. Je me surpris à porter mon regard vers le coin de la pièce, derrière mes livres. Quelle terrorisante pensée que de me surprendre à caresser l'idée. La voix n'était plus dans ma tête, elle n'arrêtait plus mes gestes. Je flottais presque au-dessus du plancher de bois, jusqu'aux livres, jusqu'à la sagesse du temps d'avant. Je mis la clé dans ma poche et prit sur le plancher le vieux chandail de Mamie. Je cousus les trous de mon sac à dos pour y placer mon grimoire des plantes et mon couteau. Derrière la porte, les créatures faisaient claquer leurs longs ongles sur le heurtoir, mais ma tête restait silencieuse. C'est dans la forêt que je trouverais les ingrédients pour soigner les blessures, par la sagesse ancienne des arbres et des animaux. Ma tristesse fera jaillir la médecine des plantes et ma peur renforcera la survie lors de mes nuits perdues entre les branches et les racines de la forêt interdite.


Je serrais fort mon vieux livre contre moi, sacré comme le jouet préféré d'un enfant. Les esprits couraient, s’agitaient autour de moi. À chaque pas je devenais plus petite, ou était-ce les champignons qui devenait plus grands. Mes yeux d’amanite, ma peau de feuilles de framboisiers. Mes dents claquaient comme les tambours, entamant la transe dans mes os fragiles. À travers les grandes feuilles, je pouvais voir les yeux brillants des bêtes noires. Mon corps de chair animale, mes longs cheveux de sorcière. Les pages du grand livre battaient au même rythme que mon cœur. Était-ce de la peur ou un avènement ? Mes os de carcasse d’insectes, mon sang de sève d'érable. Leurs longs bras de branches m’attrapèrent violemment. Leurs corps humains transformés en bêtes sacrées, leur chants anciens asymétriques comme des grands vaisseaux d'ailleurs. Sur la grande table de bois, ils m’ouvrirent comme une rivière, lançant dans la grande marmite ce qui fut mon corps et mes tripes. Ce corps de poussière arc-en-ciel, petite boite remplit d'esprit, conscience. Vidée, sans corps, dans la noirceur j’observais. Tel un oiseau de proie, tel un renard blessé. Je pouvais voir derrière ce qui fut ma tête. Des yeux qui n’existent pas, des yeux ancrés dans la pierre. Mon corps bouillit longtemps dans la grande marmite noire, jusqu’à y laisser mes os d’un blanc pur et troués. Je parlais la langue des animaux, l'alchimie des minéraux. L’homme animal prit l’un de mes os comme l’on cueille la rosée sur un brin d’herbe, ses yeux regardèrent à travers la fracture, le chemin de mon avenir. Guérisons, fragmentations et transformations. Les créatures cherchèrent partout dans la forêt, dans les nids d’oiseaux, dans la chair des bolets et dans le sang des naissances, des morceaux de corps qu’ils me peinturèrent à nouveau. Sur mon corps de morceaux brisés de forêt, d'organes de quartz, j’apposais des runes et des objets de pouvoir. Sous les couches de vieux tissus, de dents et de lichens, je trouvai un corps de sang blanc, une maison qui se transforme par les chants et le temps.  Matière grise et terre noire, je comprenais maintenant le langage des plantes. Leur médecine étaient des mots qui dansaient dans mon sang, le chaos des anciens un pansement sur les blessures qui étaient miennes. Les étoiles étaient liquides comme les ruisseaux, la forêt une toile dorée intemporelle. Nous flottions dans ce monde de rêve, chantions les secrets silencieux qui ne s’entendent que lorsqu’on est perdu. Mes longs doigts de sorcière devenaient racines, mes yeux ceux des oiseaux. J’étais partout alors que je n’avais que toujours été moi. Porte des perceptions, initiée à mourir pour renaître de la poussière.

19 mars 2016

Fractales


Les couleurs s'estompent comme dans un cahier à colorier. Les femmes des tribus m'enveloppent de leur féline compassion, nous dansons dans la symétrie des couches de liquides qui s'entremêlent, nous rions dans ce monde de vagues multicolores qui m'entrainent vers le fond de moi-même, les questions passent près de moi comme des oiseaux dans le ciel, elles n'ont plus d'importance, car ici tout est plus grand que le mental. C'est à l'interieur où tout se crée, où tout s'est ramassé, accumulé. Je pense à ces cellules qu'on m'a dites cancéreuses. En réponse, il y a cette pile constituée de fleurs séchées, de bois et d'un pied nécrosé, puis se forme devant moi un crâne humain ouvert rempli de sang. Celui de ma propre projection mentale, de ma peur qui se dissout devant les grands dieux courroucés des cycles de l'existence de la mort tibétaine. Des dizaines de tubes noires se renversent à l'intérieur du crâne, ce sont peut être d'où proviennent les idées. Le cercle de la vie, les cycles de la peur et de l'anxiété prennent tout leurs sens. Les femmes des tribus me recouvrent de liquide noir, je perçois l'odeur des civilisations anciennes et de leur sagesse. Je me souviens du pèlerinage sur ces chemins. Je suis dans l'utérus intemporelle du monde, face à la Madonne noire qui vit en mon sein. Mon corps malade sous sa sorcellerie, comme un nid d'aiguille portant le germe de la conscience. La plus douce des femmes ténébreuses, son visage dans l'ombre camouflant les traits d'un monstre d'ailleurs. Elle est puissance et destruction, elle est l'autre, ce côté qui crée l'équilibre, cette violence que je refoule. Ces paroles pleine de haine que je n'avais jamais hurlé, ces têtes coupées que je n'avais jamais imaginé. Devant moi, elle était là pour toutes ces fois que je n'avais pas montrer les dents. J'étais liquide comme le monde, submergée par le mouvement de la vie. Ce mouvement désagréable qui nous pousse à aller chercher de l'eau, ce mouvement de survie. Le cercle de la vie tournent autour de la force contraire des opposés. Pourtant si proche, sous la terre des jardins, entre l'écorce des arbres, dans la médecine des plantes. Le monde des esprits et les connaissances ancestrales. Je suis seul et je suis tout. Les voix ne s'entendent que dans le silence de l'esprit. Elles sont comme ses mélodies de piano que grand-maman jouait alors que je me cachais sous les grandes feuilles dans son jardin de fleurs. Subtiles, éloignées, les notes traversaient les murs de pierres, flottant dans le silence des mots de mon esprit d'enfant sans questions. N'y amenant que ce qui était. Il n'y avait pas plus à comprendre, pas d'identification. Je n'étais que ce que je voulais être, je n'était pas les mots que l'on m'avait appris, ceux répétés sur une feuille de papier sans la permission de parler. 

23 février 2015

L'épitaphe



L'ÉPITAPHE

Je me lève le matin, je m'assoie à la fenêtre.  J'aimerais ne pas savoir si je dors encore. Ce n'est plus le même noir, mais c'est encore là. Gris comme la pluie de mes colères. Je n'arrive plus à boire de café. Trop noir pour mes idées; vertiges et lumières. Les arbres n'ont plus ces noms que je connaissais, enfant. Suis-je encore endormis ? Il me semble avoir entendu quelqu'un m'appeler. Il y a tous ces tableaux sur les murs qui n'ont pas plus de sens que ceux dans les rues. Mensonges enduits de colle. Le chat dort encore. Je l'envie. Attendre patiemment toute sa vie le bruit d'un ouvre-canne. Ça me rappelle le vieux violoniste aveugle qui joue dans la rue, sans savoir pourquoi. Il arrive midi. Je sors. Le noir en tenue comme moeurs du corbeau. Le caviare de l'ironie théâtrale. Gloutonnerie. Je n'arrive pas à fumer ma dernière cigarette. Trop d'idées flous, c'est la révolte là aussi. Il y a en moi une violence latente, sans nom comme les succubes de mes nuits anesthésiées. Je vois les pierres des murs tomber en ruine sous mon regard, les oiseaux mourir sous mes pensées. La création n'est plus féconde, mes idées sont toujours mortes nées. L'émergence d'un phylum de la déchéance. Si seulement je pouvais minimaliser la mort en un symbole. Le ciel est balafré. Mais qui a donc malmené le vertige des lierres ? Elle disait qu'on ne peut se perdre si l'on ne veut aller nulle part. Elle m'aurait poussé d'un ravin que je lui aurais chuchoté que je l'aime. Si seulement elle m'avait poussé, alors j'aurais pu me perdre. La vieille femme priait devant cette statue de la Vierge. Qu'est-ce que le réel sacrifice ? Des centaines de perles ornaient sa poitrine de femme de la mer. Rien n'aurait pu l'atteindre. Immuable. Il me sembla qu'une brume envahissait la route, comme la fin d'un acte avant la tombée du rideau. J'alluma ma dernière cigarette. Je n'avais plus d'excuse et passa donc la porte de l'horizon. Rappelles-toi quand nous marchions dans les sentiers de nos crânes, comparant les rivières de doutes à nos plants de théories. Il pleuvait, car nous voulions la pluie. Le ciel rouge chair perlait de lumière. Nous avions marché jusqu'à très haut, jusqu'à la nuit, sachant que nous étions condamnés au paroxysme. Nous étions ailleurs comme si nous n'appartenions à ce monde qu'un jour sur deux. Ça, et le jus de canneberge blanc. 

"Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. 
Si tu plonges longuement ton regard dans l'abîme, l'abîme finit par ancrer son regard en toi."
- Nietzsche

24 novembre 2013


L'équinoxe
De la paix coupante

Déconditionnée,

J'ai brûlé mes yeux de ton néant présent,
Traversé les lèvres des litanies de Dante,
Tu marchais sur ce grand trottoir de la prose déchue,
Cueillant des textes au gré des fruits effacés,
Portant le bleu comme une couronne de prince perdu,
Comme si tu n'étais qu'un fantôme de boîte à souliers.

Nous déferlions sur les astres
Comme un terrain de jeux d'animaux sans âmes
L'amour tantrique
Et les anges calfeutrés 
Nous souriaient de bénédictions maudites

Les aiguilles mentent
Je te vois en cristal
Seulement je porte le chapeau déteint de lacs ternes 
Peint sur les toiles de crânes défoncés

Je hurle ta mort
Ton corps de poussière arc-en-ciel
Au goût de gitan transcendé

Et s'illumina
Le monde

19 novembre 2013

Maldita


La femme symétrique a une peau de plastique, une peau de pétrole raffiné; d'anciens animaux putréfiés. Elle oublie son ascension sous des cheveux toujours changeant et d'une peau jamais assez dorée. 

La femme symétrique est une prostituée qui se ment, avec comme paie un court moment de valorisation personnelle, sexuelle. Elle partage son corps comme un dernier appel de détresse à l'amour inconditionnel.

La femme symétrique n'est jamais rassasiée, jamais assez. Voulant se remplir le vide-du-cœur entre les reins de pollen encrassé. Elle fond avec la noirceur de la nuit qui la borde d'une peur sans nom. La femme symétrique ne pleure pas, car elle a le contrôle. Elle a le contrôle de sa vie qui vacille, de sa vie dénudé de sens et emplie de rêves d'ailleurs. D'ailleurs où elle est libre d'être sale et où l'hiver est dans les arbres et non dans sa tête.

La femme symétrique rêve de l'homme symétrique. Elle le cherche dans chacun des esprits qu'elle rencontre, mais il n'est pas ponctuel, réel. Il ne comprend pas pourquoi elle pleure sous les confettis. Des lors qu'ils gravent leurs noms sur l'arbre, tout est déjà mort, poussé à l'inévitable afin d'avoir une raison d'haïr autant qu'elle aurait voulu l'aimer. 

La femme symétrique rasera tout, mais pas sa tête. Elle est une femme, pas un enfant. Elle ne sait pas ce qu'elle veut, mais elle a le contrôle de sa chute. Elle sait qu'un jour elle ira dans cette endroit où elle peut être une enfant dans un corps de femme, sans rien raser sauf sa tête. 

La femme symétrique ne connaît pas la puissante qui émerge de ses mots et de son authenticité. Elle pourrait soulever le monde si elle n'était pas ivre de doutes. Elle se rend aveugle à ses dons sous le poids d'un conditionnement calculé.  

La femme symétrique sait qu'il y a quelque chose de plus. De plus que la peur. 
Illogique. Le monde est asymétrique.

28 octobre 2013

25 août 2012


C’est ce superbe costume de coccinelle qui débuta ma vie de malchance. Vous savez lorsqu’on perd quelque chose, la dernière personne à être pigé au hasard ou les collations égarés; oui, c’était moi tout ce temps. Du haut de mes 5 ans, je gardais la tête haute, acceptant les choix du hasard, mais sans les comprendre, une petite blessure sur le cœur. Lors de ma dernière semaine de maternelle, Mme Dannie pigea le dernier nom pour le port du costume de coccinelle. Ma naïveté me permit encore de croire que j’avais une chance de gagner contre l’unique adversaire; Janelle. Vilaine naïveté. En cette belle journée de soleil accablant, « l’ennemis du port de costume » ne pouvait se mouvoir sans cuire littéralement sur place. Sans la quitter des yeux un instant, le moment inévitable se produisit; Janelle retira ses ailes de coccinelle. Quelle extase de pouvoir enfin prendre ce bien si désiré et de l’enfilé par-dessus ma petite salopette. Bien sur, ce fut une journée plus que désagréable, mais je ne retirai le costume qu’à la dernière seconde. À la maison, je courus vers Toutou-Cochon lui raconter la péripétie de ma victoire incroyable et j’en profitai aussi pour le chuchoter aux monstres sous mon lit. C’est en mai 1996 que je découvris l’une de mes plus grandes forces; trouver toujours une solution afin d’accomplir mes buts, dans la persévérance. On dit que c'est un truc de Capricorne, hey ben. Par la suite, cela devint un caractère de plus en plus présent quotidiennement, qui avantageait la plupart de mes choix de vie. Sauf peut-être à la St-Valentin, en première année, lors de la distribution des cartes de vœux (jumelés a un petit bonbon rose si délicieux) d’Émilie, qui s’arrêta à mon bureau après avoir vidé son sac en me citant un beau classique : « J’ai perdu la tienne Marie-Noël ». Aussi la même année, la fois du Bingo de dalmatiens, lorsque j'ai changé ma carte de numéros avec celle de Carol-Anne quand elle est allée aiguiser son crayon. J'étais persuadée que sa carte gagnerait, car je ne gagnais jamais et elle à remporter le chocolat, évidemment. Damn you hasard. L’impuissance peut être parfois si écrasante chez un enfant. Il s’agit d’un des seuls petits souvenirs stupides qui me donnent, encore aujourd’hui, un pincement dans l'injustice.

On reprochait souvent à ma petite personne de parler sans arrêt, de dessiner ou d’écrire pendant les consignes, mais mon monde conceptuel, mes créations imaginaires commençaient dès lors à germer pour ne jamais plus s’arrêter de grandir. La forêt d’elfes derrière chez moi, grâce à laquelle je créai une écriture cryptée, les histoires aux centaines de pages sur des aventures d’hommes et de bêtes sauvages, les potions de sorcières faites de pétales de roses volées dans le jardin et les livres qui stimulaient mon imaginaire me permirent de développer ce ludisme qui devint rapidement source de bonheur, encore présent aujourd’hui dans mes accomplissements. Un lien avec le monde idéel qui ne s'est jamais rompu. 

« La vieille dame triste ferma les yeux. Tu sais, celle qui pleure les couleurs. »

Sans barbe bleue

La Grange chez Grand-Maman


Ma grand-mère vivait dans une incroyable maison que je qualifierais de féérique. J’ai repris à de nombreuses fois la description de cette maison dans plusieurs de mes créations littéraires, car sa beauté fragile la rendait presque invraisemblable. Construire par mon arrière-grand-père dans “l’ancienne campagne”, toit de toile métallique et murs de pierres aux couleurs ternes, tous les coins autour de la maison étaient ornés de fleurs, de plantes majestueuses et de lierre. L’air fleurait un doux parfum sucré. L’automne, l’herbe haute devenait dorée et brillait sous le soleil comme un champ recouvert d’or que j’admirais par le petit balcon d’entrée, comme invité à contempler un paysage de contes pour enfants. Bien que la maison fût à mes yeux une merveille, mon attention se portait plutôt sur la vieille grange mystérieuse à l’arrière de la cour. Elle avait servit pendant de nombreuse années à mon arrière-grand-papa à pratiquer de l’apiculture. Maintenant, endormie dans la cour, sombre, presque inquiétante, les chauves-souris y trouvaient refuge dans les poutres du plafond, grinchant à l’ouverture de la grande porte de devant. Ma curiosité parfois morbide me tira très tôt à m’aventurer entre les parois sinueuses des murs de bois ondulé d’humidité. Un large bouquet de rhubarbe poussait à l’arrière de la grange, j’en volais de longues tiges pour m’en faire de grands chapeaux.Le vieux grenier de la grange ne s’accédait que par deux passages secrets dont moi et mon grand frère étions les seuls à connaitre l’existence. Rempli de vieux objets inintéressants pour des enfants, en fouillant davantage, je trouvai dans le creux de ses viscères, mon premier trésor; de vieux jouets abandonnés. À 5 ans, je savais que j’étais bien assez grande pour subvenir aux besoins de tous ses petits orphelins. Ce vieux grenier devient rapidement mon repère tranquille, où je me cachais, à chacune de mes visites chez grand-maman, et ce jusqu’à mes 10 ans, ou jusqu’à ce que ma naïveté d’enfant se perdre dans le rationalisme de l’adulte. J’aimerais pouvoir m’imaginer que mes vieux dessins y sont restés, que mes potions de sorcière soient encore intactes dans leur pot de verre, que les orphelins attendent le retour de leur mère-enfant. Lors de mes 10 ans, une énorme tempête de neige, comme il ne s’en était jamais vu, s’accumula dans notre petit village jusqu’à former une pente des toits de maison au sol. On estimait l’accumulation de neige à plus de 2 mètres. Le faible squelette ligneux de la grange s’effondra sous tout ce poids. Encore aujourd’hui, j’associe la perte de mon repère tranquille à mon entrée dans le monde raisonnable et logique des adultes. Il s’écroula à la même année que mon enfance. 
Grandir, des fois ça fait mal un peu.

Le monde de Vitriol


Je ne sais pas si c’est l’interminable silence de l’attente d’autrui ou le large miroir devant moi qui m’intimident le plus. Pourtant, je suis bien ici, j’ai toujours été bien sans vraiment savoir pourquoi. Le silence fut brimé quelques secondes par le bruit des assiettes qu’on empilent. Mélancolique sonorité qui me berce dans le silence. Elle traverse les murs et la ventilation, jusqu’à moi et mon reflet; elle me donne envie de rêver. Je joue avec ma cuillère dans ma soupe tiède prenant peu a peu conscience de ce qui m’entoure. Il n’y a ici, que ma réflexion, mais non loin de nous, certains commencent a vivre, tout comme moi il y a vingt ans alors que d’autre terminent leurs périples. Je suis dans un cocon muet, alors qu’à quelques pas de moi, on se transmet la vie. On meurt afin de permettre à un autre de naître.
C’est beau, c’est triste, c’est magnifique. Mon petit sundea a fondu.
L’air est emplit de pensées et de masques; il sont bons et mauvais, plein d’espoir et de craintes. Je me questionne à savoir en combien de temps ma tête exploserait si je parvenais à tout entendre et voir, ne serait-ce qu’un millième de seconde.
Le temps existe en ce moment, et il est mon plus grand ennemis. Je parle, je parle de plus en plus longtemps à celui qui n’a jamais connu l’existence. Je lui demande comment l’on peut vivre avec le fait de ne pas exister. Comment on se sent? J’aurais cru qu’il était malheureux, qu’en habitant son perpétuel vide inexistant, il ne ressentirait que l’absence de l’existence à chaque inspiration. Mais non. Ce chérubin me murmure des mots que je n’ai encore jamais entendus. Sa voix caresse mes sens et purifie mon corps de toutes mauvaises pensées ou de douloureux souvenirs. Elle emplit les recoins vides de mon âme par son inexistence. Sa voix est une litanie de paix, tout se brise et tout se reconstruit. Je vois l’intérieur de chaque chose, il n’y a plus de secret. Sa voix descend en mon ventre afin de continuer son murmure dans le plus profond de mon être charnel. Mon sang se blanchit jusqu’à devenir transparent, les couleurs s’accentuent et ma vision s’élargit. Mon corps se soulève sous les murmures entassés, je voudrais tous les manger, les protéger au fond de moi. Éphémère moment, qui prit fin trop rapidement. J’oublie déjà ce que me disaient les murmures, j’oublie déjà les secrets cachés sous les peintures de l’existence, je voudrais retenir l’enfant qui me murmure les secrets de l’inexistence, mais je suis là, seule avec mon reflet. Je suis ici dans cette hôpital de mon plein gré, et ce, sans raison particulière. Je mange ma soupe et mes raisins au yogourt qui goûtent l’enfance, alors que je pourrais faire des centaines d’autres choses. Je me glisse sans un bruit dans la chapelle, observant discrètement cette femme qui prie. Je me demande si l’enfant lui a montrer ce que j’ai vu, je voudrais savoir pourquoi elle prie aujourd’hui, ici, près de moi. Je voudrais pouvoir lui dire que tout vas bien et que l’on peut jouer a être ce qu’on a toujours voulu être, ensemble. Mais je ne peux m’empêcher de rester muette devant sa souffrance. Le silence crie la cacophonie. Les bébés dorment paisiblement, ne sachant pas encore que leur vie commence. Ils sont la pureté même de l’humain dans leur plus fragile représentation. Ce sont eux les chérubins de l’existence. Je descends dans les artères de l’hôpital cherchant des malades à qui confier mon raisonnement, en vue d’un éternel perfectionnement de cette pensée.
Face aux portes de l’ascenseur, mes pieds se soulèvent par de petits sauts intermittents. Le cœur bat lentement sous moi. Je me sens bien. J’aimerais appuyé sous tous les boutons en même temps, visiter toutes les salles et parler à toutes les personnes.. mais le temps existe encore, et je dois retourner travailler. Aider cette jeune génération perdue à créer de nouvelles couleurs pour cette tâche ardue qu’est de peindre un nouveau monde. Un meilleur monde.
19 février 2010.