3 janvier 2017

Potions


La pièce poussiéreuse, saturée d'odeurs boisés et salées, me laissa deviné trois larges silhouettes assises autour d'un énorme chaudron noir bouillonnant. Les trois femmes aux visages difformes tant les traies étaient exagérés, portaient sur leurs courbes proéminentes de vieilles robes victoriennes de paysannes jaunis par le temps et la terre. Malgré mon hésitation, ma présence n'interrompit en rien leurs rires stridents. Leurs affreux visages portèrent sur moi un puissant regard de compassion, leurs traits creusés par la connaissance se remodelaient selon mes émotions. Plus je m'avançais, plus ils devinrent tendres et maternels comme le premier souvenir de ma mère. Une certaine tristesse traversa le flot de mes pensées. Saisissant l'émotion qui assombrissait ma vue, l'une des femmes me pointa d'un geste délicat la quatrième chaise. Ses longs ongles étaient trempés du même liquide noir qui mijotait dans le chaudron.

Elles m'accueillirent dans leur cercle sans l'ombre d'une hésitation, sans la nécessité des mots. Du bout des doigts, elles déversèrent dans l'épais liquide ; champignons, os et écorces. Les femmes entonnèrent un chant des anciens. Devant mes yeux hypnotisés, s'éleva dans la fumée ; des arbres luminescents. Le chaudron s'écoula à nos pieds, engloutissant le feu et le chant des mères. Les murmures des racines des arbres m'enseignèrent le secret des mots. Mon corps s'ouvrit en deux, se connectant aux nerfs fongiques de la terre. Des millions d'années s'écoulèrent, ma tête devint chair liquéfiée recouverte de champignons. Je goûtais la mort des insectes, vécue dans des trous sous la terre et dans la moisissure des arbres. L'éternel présent coulait dans mes veines, l'évidence que je ne pourrais jamais plus être ailleurs qu'ici. Vint alors l'eau des rivières avec l'évolution et la maladie. Je naquis sous une rare forme de bactérie, aux creux des océans où nous partagions notre abri avec les monstres d'ailleurs. Alors que mon corps se refermait, cicatrisant sous la médecine des plantes, j'arrêta de penser. Chaque choix est une possibilité, un arbre sans fin qui se crée au fil des croyances. Diverses dimensions pour diverses certitudes. Ce fut la clé d'une connaissance ancienne, porte des possibilités.

Les femmes réapparurent sous la fumée qui s'estompait. Les premières paroles vinrent de la femme à ma gauche ; «Il n'y a pas de dieu ici, mais il y a quand même la superstition », la deuxième femme prit alors parole à son tour ; «Le premier chemin mènera à la souffrance, alors que le second est la clé », la troisième femme posa sur moi un regard sincère ; «Suit la connaissance jusqu'au seuil des forêts, elle est la porte des possibilités ». Enveloppée d'écorces et de toiles d'araignées, elles m'offrirent une vieille robe pareille aux siennes. Au sein du cercle, je mourus. Une partie de mon être étaient maintenant de celles que l'on ne parle pas, de la laideur des corps et de la solitude. Aucune flamme ne brûlera mes os, tant que cette robe ornera ma chair.