25 août 2012

Sans barbe bleue

La Grange chez Grand-Maman


Ma grand-mère vivait dans une incroyable maison que je qualifierais de féérique. J’ai repris à de nombreuses fois la description de cette maison dans plusieurs de mes créations littéraires, car sa beauté fragile la rendait presque invraisemblable. Construire par mon arrière-grand-père dans “l’ancienne campagne”, toit de toile métallique et murs de pierres aux couleurs ternes, tous les coins autour de la maison étaient ornés de fleurs, de plantes majestueuses et de lierre. L’air fleurait un doux parfum sucré. L’automne, l’herbe haute devenait dorée et brillait sous le soleil comme un champ recouvert d’or que j’admirais par le petit balcon d’entrée, comme invité à contempler un paysage de contes pour enfants. Bien que la maison fût à mes yeux une merveille, mon attention se portait plutôt sur la vieille grange mystérieuse à l’arrière de la cour. Elle avait servit pendant de nombreuse années à mon arrière-grand-papa à pratiquer de l’apiculture. Maintenant, endormie dans la cour, sombre, presque inquiétante, les chauves-souris y trouvaient refuge dans les poutres du plafond, grinchant à l’ouverture de la grande porte de devant. Ma curiosité parfois morbide me tira très tôt à m’aventurer entre les parois sinueuses des murs de bois ondulé d’humidité. Un large bouquet de rhubarbe poussait à l’arrière de la grange, j’en volais de longues tiges pour m’en faire de grands chapeaux.Le vieux grenier de la grange ne s’accédait que par deux passages secrets dont moi et mon grand frère étions les seuls à connaitre l’existence. Rempli de vieux objets inintéressants pour des enfants, en fouillant davantage, je trouvai dans le creux de ses viscères, mon premier trésor; de vieux jouets abandonnés. À 5 ans, je savais que j’étais bien assez grande pour subvenir aux besoins de tous ses petits orphelins. Ce vieux grenier devient rapidement mon repère tranquille, où je me cachais, à chacune de mes visites chez grand-maman, et ce jusqu’à mes 10 ans, ou jusqu’à ce que ma naïveté d’enfant se perdre dans le rationalisme de l’adulte. J’aimerais pouvoir m’imaginer que mes vieux dessins y sont restés, que mes potions de sorcière soient encore intactes dans leur pot de verre, que les orphelins attendent le retour de leur mère-enfant. Lors de mes 10 ans, une énorme tempête de neige, comme il ne s’en était jamais vu, s’accumula dans notre petit village jusqu’à former une pente des toits de maison au sol. On estimait l’accumulation de neige à plus de 2 mètres. Le faible squelette ligneux de la grange s’effondra sous tout ce poids. Encore aujourd’hui, j’associe la perte de mon repère tranquille à mon entrée dans le monde raisonnable et logique des adultes. Il s’écroula à la même année que mon enfance. 
Grandir, des fois ça fait mal un peu.