23 février 2015

L'épitaphe



L'ÉPITAPHE

Je me lève le matin, je m'assoie à la fenêtre.  J'aimerais ne pas savoir si je dors encore. Ce n'est plus le même noir, mais c'est encore là. Gris comme la pluie de mes colères. Je n'arrive plus à boire de café. Trop noir pour mes idées; vertiges et lumières. Les arbres n'ont plus ces noms que je connaissais, enfant. Suis-je encore endormis ? Il me semble avoir entendu quelqu'un m'appeler. Il y a tous ces tableaux sur les murs qui n'ont pas plus de sens que ceux dans les rues. Mensonges enduits de colle. Le chat dort encore. Je l'envie. Attendre patiemment toute sa vie le bruit d'un ouvre-canne. Ça me rappelle le vieux violoniste aveugle qui joue dans la rue, sans savoir pourquoi. Il arrive midi. Je sors. Le noir en tenue comme moeurs du corbeau. Le caviare de l'ironie théâtrale. Gloutonnerie. Je n'arrive pas à fumer ma dernière cigarette. Trop d'idées flous, c'est la révolte là aussi. Il y a en moi une violence latente, sans nom comme les succubes de mes nuits anesthésiées. Je vois les pierres des murs tomber en ruine sous mon regard, les oiseaux mourir sous mes pensées. La création n'est plus féconde, mes idées sont toujours mortes nées. L'émergence d'un phylum de la déchéance. Si seulement je pouvais minimaliser la mort en un symbole. Le ciel est balafré. Mais qui a donc malmené le vertige des lierres ? Elle disait qu'on ne peut se perdre si l'on ne veut aller nulle part. Elle m'aurait poussé d'un ravin que je lui aurais chuchoté que je l'aime. Si seulement elle m'avait poussé, alors j'aurais pu me perdre. La vieille femme priait devant cette statue de la Vierge. Qu'est-ce que le réel sacrifice ? Des centaines de perles ornaient sa poitrine de femme de la mer. Rien n'aurait pu l'atteindre. Immuable. Il me sembla qu'une brume envahissait la route, comme la fin d'un acte avant la tombée du rideau. J'alluma ma dernière cigarette. Je n'avais plus d'excuse et passa donc la porte de l'horizon. Rappelles-toi quand nous marchions dans les sentiers de nos crânes, comparant les rivières de doutes à nos plants de théories. Il pleuvait, car nous voulions la pluie. Le ciel rouge chair perlait de lumière. Nous avions marché jusqu'à très haut, jusqu'à la nuit, sachant que nous étions condamnés au paroxysme. Nous étions ailleurs comme si nous n'appartenions à ce monde qu'un jour sur deux. Ça, et le jus de canneberge blanc. 

"Celui qui lutte contre les monstres doit veiller à ne pas le devenir lui-même. 
Si tu plonges longuement ton regard dans l'abîme, l'abîme finit par ancrer son regard en toi."
- Nietzsche